L’importance de la surveillance
Une série spéciale de billets des conseillers de la NPPV
Par Adele Furrie, conseillère de la NPPV
Mes 62 ans de carrière ont été consacrés aux données : leur conception, leur collecte, leur analyse et leur diffusion.
J’ai tout d’abord œuvré chez Statistique Canada pendant 40 ans, où j’ai eu pour mentors certains des plus grands méthodologistes d’enquête et statisticiens du monde. Au cours de mes 13 dernières années en poste chez Statistique Canada, j’ai eu le privilège de chapeauter la conception, la mise en œuvre et la diffusion des résultats des première et deuxième enquêtes nationales sur l’incapacité. J’ai collaboré étroitement avec des représentants de tous les ordres de gouvernement, de même qu’avec la communauté des personnes ayant une incapacité, pour m’assurer que les données recueillies répondaient à leurs besoins collectifs.
Depuis ma « retraite » du gouvernement en 1996, j’ai continué de travailler et d’occuper des fonctions similaires dans le secteur des personnes ayant une incapacité, tant à l’échelle nationale qu’internationale. À titre de membre du Comité consultatif technique affecté au développement de la nouvelle stratégie du gouvernement du Canada en matière de données sur les personnes ayant une incapacité, j’ai soutenu le développement de moyens innovants afin d’utiliser tant les données d’enquête que les données administratives pour orienter l’élaboration de politiques et de programmes qui éliminent les obstacles à la pleine inclusion des Canadiens et Canadiennes ayant une incapacité, et ce, dans tous les secteurs de la société canadienne. Comme consultante en gestion de l’information, j’ai analysé des données d’enquête et des données administratives pour orienter les changements à apporter aux lois existantes, évaluer les programmes et développer des normes pour les nouvelles lois.
J’ai vu des données créer de puissants portraits du Canada, des Canadiens et Canadiennes et des vies qu’ils mènent. J’ai aussi vu des politiques et des programmes mis sur pied par suite de ces portraits. Compte tenu de mon expérience, je crois me trouver dans une position unique pour partager mon opinion à l’égard du système de surveillance de l’AMM que propose le gouvernement.
Une des premières choses que j’ai apprises chez Statistique Canada est que pour concevoir un questionnaire, il faut tout d’abord veiller à ce que toutes les questions posées dans le cadre de l’enquête aient un but. Pour quel motif pose-t-on la question? En quoi répond-elle à au moins un des besoins en matière de données? Cette même philosophie est valide pour la collecte de données administratives. C’est pourquoi ma première question va comme suit : avons-nous appliqué cette philosophie aux données qui doivent être recueillies pour l’AMM?
Tout photographe sait que la lentille qu’on choisit influence profondément le portrait saisi. À mon avis, cela vaut tout autant pour les données. On peut les analyser de nombreuses façons et s’en servir pour créer de nombreux portraits. Je crois qu’il est maintenant temps que le gouvernement nous écoute pour s’assurer que les données qui sont recueillies dans le cadre du système de surveillance de l’AMM sont les bonnes et qu’elles permettent une analyse à travers la « lentille de la personne vulnérable ».
Le gouvernement reconnaît cette « lentille de la personne vulnérable ». L’arrêt Carter et le projet de loi C-14 comportent tous deux des références aux personnes vulnérables et à la nécessité de les protéger. La Norme sur la protection des personnes vulnérables expose des mesures de sauvegarde et des exigences fondées sur des données factuelles pour protéger les personnes vulnérables de la coercition et de l’abus dans le contexte de l’AMM. Toutefois, pour que cette lentille nous aide véritablement à créer le portrait requis, nous avons besoin des données qui identifient ces personnes vulnérables. Voilà la lacune que le système de surveillance de l’AMM qui est proposé pourrait combler — s’il est développé en suivant les suggestions de la NPPV.
Dans le système de surveillance proposé par le gouvernement, les exigences en matière de collecte de données — incluant la date de naissance, le sexe, le type de lieu de résidence habituel, l’état matrimonial, la principale occupation et l’accès à des soins palliatifs — sont un bon point de départ, mais elles sont insuffisantes pour que la lentille de la personne vulnérable puisse être utilisée.
Dans sa réponse au système de surveillance de l’AMM qui a été proposé, la NPPV suggère d’autres données qui favoriseraient la collecte des données nécessaires pour pouvoir commencer à surveiller et évaluer l’AMM au Canada à travers la lentille de la personne vulnérable, à savoir des renseignements sur la situation et les conditions de vie de la personne, les autres options de traitement et d’intervention, de même que d’autres renseignements sur les circonstances où se trouve la personne. Ces suggestions sont fondées sur les connaissances de l’ensemble des conseillers de la NPPV et fournissent un portrait global de la situation de vie de la personne.
Mais avons-nous fait les choses de la bonne façon? Ne mettons-nous pas la charrue devant les bœufs? Ne devrions-nous pas nous asseoir ensemble — les représentants du gouvernement et les conseillers de la NPPV — pour tout d’abord déterminer quel usage nous avons l’intention de faire de ces renseignements? Comme conseillers de la NPPV, nous voulons nous assurer que les Canadiens et Canadiennes vulnérables ne sont pas surreprésentés dans la population qui présente une demande d’AMM. Quels sont nos indicateurs? Le gouvernement s’est engagé à faire une évaluation après cinq ans. Quels sont les indicateurs du gouvernement pour cette évaluation? D’après mon expérience chez Statistique Canada, tant le gouvernement que les conseillers de la NPPV doivent s’assurer d’avoir toutes les données requises sans pour autant ajouter un fardeau inutile, à savoir des questions non pertinentes, pour les personnes qui cherchent à obtenir l’AMM et pour leur réseau.
Supposons que nous nous entendons sur les données qui devraient être recueillies en suivant la philosophie de Statistique Canada en matière de collecte de données. Que se passera-t-il ensuite? Supposons que l’analyse faite à travers la lentille de la personne vulnérable démontre qu’un segment des Canadiens et Canadiennes vulnérables est surreprésenté dans la population de l’AMM. Supposons qu’une région du Canada est surreprésentée dans la population de l’AMM. Supposons qu’une région du Canada est surreprésentée dans la population de l’AMM. Qu’est-ce que la surreprésentation? Nous devons établir des seuils pour répondre à ces questions.
Il ne faut pas se laisser intimider par cette tâche. Dans cinq ans, nous ne voulons pas avoir à nous demander « Et si? ». Et si nous avions marqué une pause il y a cinq ans pour réfléchir aux données dont nous avons besoin pour brosser le portrait le plus clair possible de l’AMM au Canada? En ce moment, nous avons l’occasion de nous arrêter, de nous écouter les uns les autres et de fournir une base de renseignements robuste qui peut être utilisée pour surveiller l’AMM aussi bien à travers la lentille du gouvernement qu’à travers celle de la personne vulnérable. Ne laissons pas passer cette chance!
Adele Furrie est consultante en gestion de l’information. Elle s’est servie de données d’enquêtes statistiques et de fichiers administratifs pour orienter les gouvernements au sujet d’enjeux qui touchent des segments vulnérables de leur population. Selon elle, le système proposé par le Canada pour surveiller l’AMM est incomplet et ne générera pas les données requises pour l’application d’une « lentille de la personne vulnérable ».