LA MANIÈRE D’ÉCOUTER : surveillance 101

L’importance de la surveillance
Une série spéciale de billets des conseillers de la NPPV

Par Catherine Frazee, conseillère de la NPPV

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Je suis un professeur à la retraire de l’étude de la condition des personnes handicapées, une militante des droits des personnes handicapées et une défenseure tout au long de ma vie de la justice sociale et des droits de la personne. J’ai passé une grande partie de ma vie professionnelle à essayer de comprendre de quelle manière les atrocités peuvent être permises dans la société humaine, de même qu’à déchiffrer les signaux d’alerte et à lever le voile sur les menaces d’agression et de négligence qui précèdent la calamité morale. Et je suis hantée par l’ombre de notre passé eugénique.

Dans une certaine mesure, tous ces détails sous-tendent ma vue d’ensemble au sein de la communauté de la NPPV. Mais pour les besoins du billet de ce blogue, ce qui est au cœur de ce que j’écris, c’est que mon propre handicap, soit un handicap qui atteindrait le seuil du « grave et irrémédiable », je ne le trouve pas moi-même intolérable.

Mes limitations me rendent entièrement dépendante des soins physiques des autres. Tout comme Archie Rolland, qui a demandé et reçu l’AMM en 2016, ma capacité de fonctionner de manière sûre et à l’aise dépend de l’habileté et de la précision de la personne qui positionne les parties de mon corps à l’infime portée des technologies de respiration, de mobilité et de communication desquelles je dépends. Contrairement à Archie Rolland, ces personnes d’habileté et de bonne volonté m’entourent.

Ainsi, lorsque Archie Rolland a expliqué en succombant aux incitations de l’AMM que ce n'était pas sa maladie qui rendait sa souffrance intolérable, mais plutôt que la vie était devenue « insupportable » parce que les personnes qui s’occupaient de lui ne comprenaient pas ses besoins et étaient incapables de fournir les soins dont il avait besoin, j’ai entendu quelque chose que ses prestataires de l’AMM semblaient ne pas entendre. J’ai entendu qu’Archie Rolland ne demandait pas de l’aide pour mourir, mais plutôt de l’aide pour vivre.

J’espère que vous lirez le compte-rendu (en anglais) de la lutte d’Archie Rolland pour la vie. C’est un récit qui demeure très pertinent sur la question de surveillance, car les détails des motivations de M. Rolland et les effets de coercition de ses circonstances déplorables doivent certainement faire partie des leçons à tirer pour que l’approche à la surveillance de notre écologie nationale de l’AMM soit responsable.

J’appuie les recommandations de la NPPV à notre ministre de la Santé parce que je crois fondamentalement qu’une bonne surveillance est simplement une pratique institutionnelle d’écoute responsable. Dans cet esprit, j’offre mes quatre critères d’écoute responsable dans le cadre de l’AMM.

  1. Demander aux bonnes personnes
    En vertu du projet de règlement, le gouvernement n’entendra que des médecins et des infirmières et infirmiers praticiens directement impliqués dans l’évaluation et la prestation de l’AMM. Cette sorte d’écoute sélective limitera grandement ce que l’on peut apprendre grâce à la surveillance. Bien que ces praticiens sont tenus de rendre compte de leurs jugements et de leurs activités liées à l’AMM, il est tout aussi important que le gouvernement entende directement des patients, comme Archie Rolland, qui sont prêts à partager leur point de vue et d’autres prestataires de soins de santé qui ont un aperçu du contexte de chaque demande de l’AMM.
     
  2. Poser les bonnes questions
    Ces questions s’appellent des questions d’approfondissement. Celles-ci permettraient de comprendre en profondeur le cas d’Archie Rolland, de telle sorte que l’information qui s’en dégage aille au-delà du récit simpliste d’un homme atteint de SLA qui répondait aux critères et choisissait l’AMM. En vertu du projet de règlement, nous n’apprendrons rien sur la situation de la vie des patients qui demandent l’AMM, ni sur les autres types de solutions possibles, comme les soins à domicile ou les soins palliatifs, ou simplement sur de meilleurs soins, soit des soins qui auraient pu faire une différence dans leur vie. Le mémoire de la NPPV demande de collecter plus de renseignements sur les raisons pour lesquelles les patients demandent l’AMM et sur la situation personnelle et sociale telle que la pauvreté, la discrimination, la solitude ou des conditions de vie intolérables qui peuvent avoir aggravé leurs souffrances. Nous devons être sûrs que lorsqu’un patient demande l’AMM, tous les efforts sont faits pour offrir des solutions qui pourraient rendre sa vie plus supportable. La surveillance devrait nous aider à nous assurer que l’AMM est au service des personnes qu’elle est censée servir, sans balayer les atrocités de la négligence sociale sous le tapis de la bureaucratie
    .
  3. Prendre le temps qu’il faut
    Écouter, c’est reculer et reprendre son souffle. Il n’y a pas de moyen « rapide et facile » de surveiller une pratique aussi sérieuse et complexe que l’AMM. Lorsque le gouvernement a présenté son projet de règlement, il a pris soin de souligner que le « fardeau administratif » imposé aux professionnels de la santé dans l’exercice de leurs activités liées à l’AMM serait minime, car cela entraînerait une « augmentation moyenne annualisée des coûts administratifs totaux par entreprise » de seulement 5 $.  Il est vrai que les recommandations de la NPPV augmenteraient le « fardeau administratif » des praticiens, car ils seraient tenus de fournir plus de renseignements tout comme les responsables de la réglementation qui seraient chargés de collecter et de compiler plus de renseignements. Mais je vous en prie, le temps et les coûts associés à une bonne surveillance ne peuvent pas être une raison de compromettre les objectifs de la loi, ni la sécurité, ni le bien-être des Canadiennes et Canadiens en situation de vulnérabilité.
     
  4. Être prêt à intervenir
    Écouter exige d’être prêt à entendre ce qui est dit. Pour les gouvernements fédéral et provinciaux, une surveillance efficace de l’AMM révélera sans doute des lacunes dans notre filet de sécurité sociale, des lacunes qui dénotent des politiques inefficaces ou de la négligence politique. Les Canadiennes et Canadiens doivent savoir si les gens sont obligés de choisir l’AMM parce que les soins appropriés ne sont pas disponibles dans leur région ou parce que les soins à domicile imposent un fardeau trop lourd à la famille et aux amis ou encore parce qu’ils ont l’impression que leur vie n’a pas de valeur. Et nous devons savoir, au fil du temps, si et de quelle manière l’AMM change nos normes en matière des droits de la personne – notre façon de voir et de répondre à la maladie, la fragilité et le handicap, et si nous avançons lentement vers le point de basculement sociologique de la calamité morale. Un système de surveillance robuste ne doit pas éviter les questions qui peuvent avoir des réponses que personne ne veut entendre.